POUR LE TEMPS QU'ON A
Texte, mise en scène et interprétation: Rémi Fransot, Félix Rudel et Rémi Taffanel
Dans un monde entièrement recouvert d’un seul océan, un homme, à la dérive, va être secouru par l’équipage d’un grand navire. Accueilli à bord, il fera face à une machination infernale. Ainsi commence le grand bouleversement de l’équilibre de ce système...
NOTE D'INTENTION
“POUR LE TEMPS QU’ON A” est un drame théâtral dystopique créé par les trois interprètes du spectacle.
C’est l’histoire de Jonas, une jeune homme qui, à la dérive sur un radeau, est perdu dans un monde où la terre est entièrement recouverte d'eau et où il ne reste qu'un bateau sur lequel survit une centaine de personnes, dirigé par un capitaine cruel. Jonas se fera repêcher par ce même bateau puis enrôler parmi la classe ouvrière maltraitée à bord. Au fur et à mesure de son périple, ce naufragé aux allures de prophète finira par inspirer une révolution.
Dépeignant ainsi une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper, nous avons eu la volonté d’élaborer une critique la plus objective possible du totalitarisme. à la fin du spectacle, nous mettons le public face à un choix, auquel nous ne donnons pas de solution, étant plus intéressés par les réflexions qui peuvent en suivre. Car nos personnages ont un parcours de vie qui se définit par leur passé et les gens qui les entourent, et seulement ça.
Nous n’avons pas voulu mettre en scène de grands tyrans ou de grands héros. Cela aurait forcément mené nos personnages à suivre une ligne toute tracée de leurs destinées.
Mais comme il y a autant d’Hamlet que d’acteurs l’ayant joués, il nous a paru vital de dessiner des personnages pouvant se jouer de toutes les manières possibles.
Le projet naît d’un constat personnel : Le monde dans lequel nous vivons n’est pas aussi bon que nous le pensions.
Les climats politiques actuels nous inquiètent et nous questionnent : Les luttes menées aujourd’hui ont-elles encore un sens?
Comment depuis notre position de citoyens et d’artistes pouvons nous mener une réflexion qui nous paraît légitime et nécessaire pour le plus grand nombre?
Après des recherches menées et des réflexions autour des grandes révolutions et luttes populaires que le monde a pu connaître, nous en sommes arrivés à la conclusion suivante. Peu importe d’où vient le besoin de changements, il peut naître en chacun de nous, et personne ne naît en ayant une âme de révolutionnaire ou de réformiste.
Il est important de se rappeler que chacun d’entre nous a le pouvoir d’exprimer les choses, de faire entendre une incompréhension dans un système, que ce soit politique, économique, social, climatique ou culturel.
“Pour le temps qu’on a” est un projet à la fois politique et apolitique. Il se veut défendre une vision du monde que les interprètes partagent et mettent en avant de la place publique pour susciter le débat. Pour ce faire, nous avons fait le choix de raconter une histoire qui pourrait être universelle.
NOTE D'ÉCRITURE
Partant d’un désir commun de trois artistes, nous avons décidé d’écrire un projet original ensemble. Élaborant ainsi un protocole où chacun est à la fois, metteur en scène, auteur et interprète, et où chacun est indépendant et force de proposition. Chacun arrivant son univers, ses envies. Ce travail a été mené sans aucune échelle hiérarchique. Chacun est libre d’exprimer ses choix, son avis, et surtout ses changements d’opinions. Ecrire à trois mains n’est pas la tâche la plus aisée, mais elle nous a permit de mettre ce spectacle au cœur de nos préoccupations.
Pour écrire cette pièce, nous nous sommes notamment inspirés des histoires vraies, d’hommes et de femmes ayant combattu un système qui leurs paraissent injustes, mais aussi de grandes œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques qui ont traité les thèmes de luttes, de combats et de révolutions. Cela étant dit, nous ne voulions pas seulement d’une œuvre politique, nous voulions avant tout une histoire forte et enrichissante. Nous suivons le parcours de trois personnages au destin et caractères différents, à qui nous laissons la place de s’exprimer dans ce huis-clos métallique qu’est l’Athéna.
“Imaginez” voilà le terme qui résume parfaitement notre travail. Comme une sorte de préambule, le premier tableau de la pièce invite les spectateur.ices à travailler leurs espaces mentaux pour se faire eux-mêmes une image de l’univers dans lequel nous les invitons. Chacun.e a une image personnelle et singulière d’un bateau et de l’océan qui les entourent. L’écriture de ce spectacle s'est faite en plusieurs étapes. Une première étape de réflexion autour de la table est organisée en séance de débats pour nous permettre d’échanger, d’imaginer et de questionner notre histoire.
à travers des sessions de travail collectives et personnelles, nous avons pu écrire, dans un premier temps, tout ce que nous évoquait ce huis-clos que nous avons rêvé. Les allers-retours entre l’écriture personnelle et collective ont été importants . Un espace d’écriture de plateau a été mis en place lors des répétitions afin d’affiner et de rendre plus personnelle l’histoire de cette société mais aussi les histoires personnelles de chaque personnage. Passant par le travail corporel, notre écriture est alors devenue une écriture singulière qui nous est propre à nous trois.
Enfin, nous nous laissons la liberté de faire évoluer l’écriture et l’histoire de ce drame dystopique à tout instant, pour paraître le plus proche possible de notre vision du monde et de son évolution au fil du temps.
NOTE DE MISE EN SCENE
Nous sommes sur un bateau. Ce "Nous" comprend fatalement le public qui devient, dès le début du spectacle, l'équipage de ce navire. Par conséquent il nous fallait réfléchir à un moyen de spatialiser cet équipage, et de le positionner de manière cohérente vis-à-vis d'un imaginaire maritime, mais aussi vis-à-vis d'une hiérarchisation des rapports entre les différentes castes composant cette société. Ainsi le public se retrouve divisé en trois "camps" : les machinistes, les miliciens, et les bien-nés.
La notion de longueur nous semblait importante pour symboliser le pont du navire, nous avons donc opté pour un rapport bi-frontal. Ainsi, le public se partage de part et d'autres du pont, ce qui nous permet également de créer une séparation entre le groupe des "machinistes" et celui des "miliciens".
L'espace de jeu est donc dessiné comme un couloir au milieu de ces deux groupes. Au bout de ce couloir, une table est réservée aux "bien-nés", les privilégiés de cette micro-société, idéalement placés à l'ombre, et à qui l'on apporte boissons et nourriture. En face des bien-nés, au bout de ce couloir, sur un praticable en hauteur, nous mettons la cabine du capitaine. Au-dessus de tous, il représente le pouvoir et l’intransigeance.
Un assemblage de draps blancs cousus les uns avec les autres, une fois déroulé, permet de symboliser au sol, l'espace de la théâtralité tout en évoquant des voiles de bateau. Le ponton sera également symbolisé par un amas de palettes, positionnées les unes derrières les autres. Ces palettes sont plusieurs fois déplacées pendant le spectacle, ce qui nous permet de chorégraphier les scènes de travail qu'endurent les ouvriers tout au long de leur existence.
La disposition de l'espace de jeu et les éléments qui le compose, nous permettent de proposer une expérience immersive, qui pousse à l'imagination et qui place le public au coeur des situations.
LE CONTEXTE DE NOTRE DYSTOPIE
(Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.)
Comment en sommes-nous arrivés là? Notre histoire commence, comme souvent les histoires de ce genre, avec un jeune politicien plein d'avenir. Profondément croyant et aussi membre du parti conservateur, il est plus obstiné de nature et n'a aucun respect pour le processus politique. Plus il acquiert de pouvoir, plus son fanatisme s'affiche et plus ses partisans deviennent agressifs. Finalement, son parti initie un projet spécial au nom de la survie nationale face aux catastrophes du réchauffement climatique. Ce projet, au début, passe pour être de la recherche en construction navale et se poursuit sans aucune limitation de budget, alors que son but véritable est le pouvoir. Bâtir des “arches” , comme celle de Noé, où les êtres humains pourraient conserver la civilisation à bord. Imaginez un seul pays au monde, le seul espoir pour l’espèce humaine qui puisse exister et ensuite, imaginez que vous, et vous seul, en ayez le contrôle. Si votre but ultime est le pouvoir, comment utiliser au mieux une telle arme? C'est ici que, dans cette histoire, notre politicien, sans conscience pour qui la faim justifie toujours les moyens, suggère que la cible ne devrait pas être un ennemi du pays, mais plutôt le pays lui-même. Pour maximiser les chances de réussite du projet, plusieurs cibles sont choisies: surconsommation, surproduction d’énergie, abattage de forêts et sur élevage de bétail. Tout pour accélérer la fonte des glaces par les gaz à effet de serre. Partout dans le monde, plusieurs centaines millions de morts de ces catastrophes climatiques. Et les tristes prédictions de notre politicien se réalisent. Les pôles du globes fondent, les continents se font submerger par les eaux. Bientôt plus aucune surface de terre. Alimentée par les médias, la peur et la panique se répandent rapidement. Déchirant et divisant les pays jusqu'à ce qu'enfin le but véritable devienne évident. Pour notre politicien, c’est une hégémonie totale et absolue. Le projet est suprême.. Certains crurent à une intervention divine, mais c'était l'œuvre du parti, qui devient scandaleusement riche. Tous s’arrachent une place dans ces navires, le prix de l’entrée est inestimable. Uniquement les plus grands de ce monde ont leur places réservés à l’avance et en première classe. Et avec eux, au sommet de cette pyramide, les membres du parti du jeune politicien règnent sans égaux. Une nouvelle société est née du sang des noyés, puis est maintenue par les souffrances de la pauvre classe ouvrière à bord. Mais le résultat final? Le vrai génie de ce plan est la peur. La peur devint l'instrument suprême de ce gouvernement et le moyen pour notre jeune politicien de se faire nommer pour tenir le poste nouvellement créé de sauveur suprême de l’humanité. Le reste, comme on dit, appartient à l'histoire. Des générations plus tard, le navire est toujours là. Le capitaine est le descendant des membres de ce parti, et le pouvoir a su se maintenir.
FESTIVAL AU COIN DE LA VIGNE
JUILLET 2024
Crédit photo: @ciesla_lou
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EXTRAITS DU TEXTE
BEROS.- Relève-toi !
JONAS.- Je n’en peux plus, mes jambes ne me supportent plus.
BEROS.- Debout, ou tu seras abattu.
JONAS.- Tu veux que je ferme mon esprit plus que de coutume? Mais j'aimerai, moi, voir un signe au-delà de toute cette machinerie infernale.
Jonas se dirige vers la table des bien-nés et demande à boire. Beros le plaque au sol.
BEROS.- Mais qu’est ce qui te prend?
JONAS.- Beros, camarades, s’il vous plaît, écoutez moi. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte mais nous manquons d’humanité. Alors arrêtons tout ça. Ne nous donnons pas à ces brutes qui nous méprisent et font de nous des esclaves, nous disent ce qu’il faut faire, penser et ressentir. Si vous ne le faites pas pour vous, par pitié faites le pour les enfants. Hier, j’ai demandé à un enfant : “Que ferais tu si tu gagnais ta liberté?”. Et là j’ai vu dans ses yeux, aucune flamme, un désert de glace. Des pupilles fatiguées. Et d’un ton morose, comme un vieillard, il m’a répondu: “Travailler ”. “Mais petit, tu n’as que 8 ans, si nous trouvions à l’horizon, une terre promise, tout ce dont tu n’as jamais osé rêver, que feras tu?”,” Décrasser les boulons, vérifier les niveaux, huiler, décaper, serrer les joints, vérifier que tout fonctionne.” Mais quelle horreur! Camarades, ressaisissez vous! Il ne faut pas que l’enfant reste un prisonnier toute sa vie. Et si un enfant rêvait de devenir autre chose, quelque chose de plus grand ? Vous ne voulez pas l’aider? Ayez pitié pour lui. Et vous, ne donnez pas votre vie à Lucius, vous n’êtes pas des machines ! Vous êtes des hommes et des femmes! Alors ne vous battez pas pour l’esclavage, mais pour la liberté ! Réveillez-vous camarades!
...
LUCIUS.- Mes chers camarades ! Athéniens, Athéniennes ! Mesdames et messieurs les bien-nés ! J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Vous l’avez sûrement déjà remarqué, mais je me présente devant vous, accompagné d’un nouvel arrivant. Je comprends votre surprise et je la partage. Ce jeune homme est un miraculé. Il a dérivé sur la Grande Bleue, perdant la notion du temps, oubliant même son propre vécu. Le soleil a lavé son âme et l’a conduit jusqu’à nous. Nous avons assouvit sa faim, en cela, il nous est redevable, et mettra volontiers sa force de travail au service de l’Athéna. Il est donc de notre devoir d'accueillir cet homme et d’en faire un véritable camarade. Ainsi donc, et ce devant les 5 représentants de bien-nés ici présents, nous allons procéder à la cérémonie d’intégration.